« De curieux émissaires voyagent à travers l’Europe, et plus loin ; se rencontrent, porteurs d’incroyables instructions.”
Internationale Situationniste, 1960*
* “L’Aventure”, Internationale Situationniste, n° 5, Décembre 1960
L’exposition Taking the Country’s Side | Prendre la clef des champs, initialement montée dans le cadre de la Triennale d’Architecture de Lisbonne en 2019, vise à stimuler un débat aujourd’hui fondamental sur les rapports entre agriculture et architecture, ville et campagne, et sur le métabolisme des territoires en général. En prenant le contrepied du tropisme urbain et métropolitain qui s’est emparé nos sociétés avec l’émergence du capitalisme (vers les débuts de l’époque dite moderne), et qui n’a cessé de s’accuser avec les révolutions industrielles des deux derniers siècles, elle entend mettre en question l’hégémonie de l’urbanisme sur la production et la conformation de nos cadres de vie. Dans le contexte d’impasse environnementale où le monde est aujourd’hui empêtré à cause des logiques de l’accumulation et du productivisme, rien n’est plus urgent que de réviser les principes qui ont présidé à l’industrialisation des deux pratiques de domestication du vivant qui, depuis le néolithique, définissent le rapport des communautés humaines aux territoires – l’agriculture (domestication des plantes et des animaux) et l’architecture (domestication des humains eux-mêmes) – et de repenser leur articulation. Le grand enjeu de notre siècle n’est plus l’extension des villes (qui détermina la naissance de l’urbanisme comme discipline) mais l’approfondissement des territoires (qui appelle une toute autre discipline de ménagement du vivant, appliquée à faire prospérer des écosystèmes habités qui soient à la fois résilients et réjouissants).
Conçue comme un work-in-progress, cette exposition ne cesse de s’enrichir à chaque nouvelle itération. Après avoir fait étape en Suisse en 2020 (galerie Archizoom de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne), à Lyon au Printemps 2022 (Orangerie du Parc de la Tête d’Or, avec Archipel), puis à Bruxelles à l’automne suivant (Halles Saint-Géry, avec Urban Brussels), c’est à la Friche de la Belle de Mai que Prendre la Clef des champs a atterri au Printemps 2023, grâce à une formidable coopération entre le Bureau des Guides et la Cité de l’Agriculture. Cette édition marseillaise a été particulièrement significative par tous les échos et prolongements que ses producteurs lui ont donné sur place, et en particulier par l’intensité des échanges et des débats organisés lors des journées Terres Communes qui ont permis de réunir, autour des thèmes de l’exposition, certains des protagonistes, des penseurs et des activistes les plus éclairés en France et en Europe.
En restituant ici leurs contributions, ainsi que les divers événements et conférences organisés pendant la durée de l’exposition à Marseille, la présente plateforme a elle-même vocation à stimuler la réflexion et à devenir une caisse de résonance qui s’étoffera des prolongements donnés aux éditions futures de Taking the Country’s Side.
Au nom de tous ceux qui ont participé à la conception de cette exposition, et qui sont engagés dans son aventure, j’exprime ma vive reconnaissance à l’équipe Marseillaise pour avoir construit ce véhicule de partage et de réverbération qui complète les sites franco et anglophone où toute la structure et le contenu de l’expo sont donnés et mis à jour en accès libre.
La présente plateforme est une archive ouverte, vivante, destinée à stimuler et amplifier la conversation et la mobilisation de tou.te.s celles et ceux qui entendent, à la ville comme aux champs, dans l’enseignement comme sur le terrain, combattre le gros lieu commun qui voudrait que l’urbanisation du monde soit la “destinée manifeste” de l’humanité et la solution miracle aux crises environnementales qui pèsent lourdement sur l’avenir de cette dernière.
Sébastien Marot
Novembre 2023
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