TERRES COMMUNES

Journée 1

MARSEILLE, TERRITOIRE NOURRICIER ?

Une conversation animée par la journaliste Émilie Laystary et nourrie des éclairages de Marc Alphandéry, militant, Laura Centemeri, sociologue, et Jean-Noël Consales, géographe.

Dans les années 1950, Marseille était encore autosuffisante en fruits et légumes. Aujourd’hui, l’autonomie alimentaire de la ville ne serait plus que de deux jours, alors que la métropole Aix-Marseille exporte 90 % de ce qu’elle produit et importe 90 % de ce qu’elle consomme.

Des hauteurs des Aygalades au Roy d’Espagne, habitant·es, associations et professionnel·les s’activent depuis plusieurs années pour ensemencer friches et talus, multiplier les jardins partagés et faire éclore des fermes, afin de regagner en autonomie. Un an après le lancement, par le Département et la Métropole, d’un plan d’action en faveur de la souveraineté alimentaire, où en est-on ? Comment se défend le foncier agricole face à la spéculation immobilière ? Quid de la qualité des sols ? Et quelle résilience alimentaire dans la perspective des crises à venir ? État des lieux de la recomposition agricole du territoire phocéen.

© Renaud Perrin

“Cette rencontre s’intitule Marseille, territoire nourricier ? J’essaie de vous faire entendre le point d’interrogation qu’il y a au bout de ce titre parce qu’il y en a bien un. Marseille donc, a-t-elle, à l’heure où nous parlons, les moyens de rayonner sur un territoire qui nourrit, un territoire qui procure de la nourriture ? Et si oui, comment, depuis quand, sous quelles conditions, avec qui et pour qui ? Alors d’abord, pourquoi relier aujourd’hui ici Marseille, donc un lieu, la deuxième plus grande ville de France, la ville depuis laquelle nous parlons, Pourquoi relier ce lieu avec l’idée d’alimentation ? Est-ce qu’habiter et manger sont des activités forcément imbriquées ? 

Eh bien oui, on l’a notamment vu ce matin avec ceux et celles d’entre vous qui étaient présents à écouter Carolyn Steel : l’acte de manger et l’acte d’habiter sont tous deux fondateurs de nos manières de vivre, parce que historiquement, c’est avec l’agriculture que sont nés les premiers villages, et parce que c’est avec l’agriculture et la maîtrise du blé que l’on a pu stabiliser l’accès à nos ressources alimentaires et donc que l’on a pu commencer à s’établir durablement à un endroit, construire des habitations, vivre ensemble et donc faire société. Carolyn Steel, architecte, professeure et écrivaine britannique, invitée d’honneur de cette journée, nous l’a dit. Elle nous fait remarquer que les villes et les villages ont toujours fonctionné au rythme de l’approvisionnement en nourriture et dans Le ventre des villes, un livre qu’elle a écrit sur comment l’alimentation façonne nos vies, elle nous explique qu’avant l’apparition du chemin de fer, l’approvisionnement alimentaire était la principale difficulté que les villes avaient à surmonter et nul ne pouvait faire abstraction de la manifestation de ces efforts. Les routes étaient encombrées de charrettes transportant légumes et céréales, les fleuves et les ports regorgeaient de vraquiers et de bateaux de pêche, les rues et les cours étaient envahis par les vaches, les cochons et les poules. 

© Renaud Perrin

En habitant une telle ville, vous n’aviez aucun doute sur la provenance de votre nourriture. Elle était tout autour de vous, ruminant, grognant et bloquant le passage. Aujourd’hui, l’approvisionnement des villes est un processus bien moins visible. Pourtant, la question nourricière dans notre mode de vie urbain demeure centrale. Cette question a été notamment ravivée lors de la pandémie. Je sais qu’on en a un peu marre de toujours faire référence à la pandémie, mais malgré tout, cette période a jeté une lumière crue sur bon nombre de choses. À ce moment-là, soudain, les rayons que l’on avait toujours connus remplis, les rayons des supermarchés, ces rayons se sont montrés un peu dénudés. Tout à coup, il nous a été permis de nous rendre compte, de manière très tangible, que ces rayonnages d’épiceries de ville, ces têtes de gondoles de grande et moyenne surface, ne se remplissent pas tout seuls par le pouvoir instantané du capitalisme. Oui, vous avez peut-être un moment manqué de farine et d’oeufs, car oui, ces marchandises viennent parfois de loin et ont besoin de pouvoir faire le chemin pour venir jusqu’à nous. On a alors parlé dans les médias, dans l’espace public, de souveraineté alimentaire, d’autonomie alimentaire de nos territoires. 

En Ile-de-France par exemple, selon les chiffres de l’ADEME, 90% des produits alimentaires consommés sont importés, alors que 49% des territoires, près de la moitié, sont voués à l’agriculture. Cette statistique permet d’estimer l’autonomie alimentaire de Paris à trois jours. Donc si Paris était en état de siège, cette ville tiendrait trois jours. à Marseille, deuxième plus grande ville de France. On était autrefois autonome en fruits et légumes dans les années 50. Marseille était donc autosuffisante en fruits et légumes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. 

Aujourd’hui, l’autonomie alimentaire de la ville ne serait plus que de deux jours, alors que la métropole Aix-Marseille-Provence exporte 90% de ce qu’elle produit et importe 90% de ce qu’elle consomme. Une absurdité, donc. Ces dernières années pourtant, une nouvelle génération d’acteurs se sont saisis de cette problématique pour relocaliser au maximum l’agriculture, ensemencer les friches, valoriser les talus, installer des fermes. Une urgence d’un point de vue écologique, mais aussi sociale et politique. Et donc, en ce sens, Marseille, vous l’entendrez, est un cas d’école dont l’analyse soulève des problématiques que l’on retrouverait pour tout territoire, mais Marseille relève aussi d’une situation singulière.”

« J’utilise souvent dans mes travaux une dialectique qu’avait formulé l’urbaniste et sociologue Michel Marier dès 1984, qui distinguait sur le cas provençal, l’aménagement du territoire et le ménagement du territoire. L’aménagement face au ménagement. Et je trouve que le territoire marseillais est là aussi un laboratoire extrêmement intéressant de cette dialectique parce qu’ il y a un potentiel agricole intracommunal assez singulier de terres agricoles  “enfrichées” qui sont mobilisables,  et qui pose la question entre aménagement et ménagement du territoire. Et même à l’échelle de Marseille se pose cette dialectique, si on interroge le territoire, non pas au prisme de la seule agriculture, mais au prisme de la nature en général, dans laquelle, personnellement, j’inclus l’agriculture comme forme de nature.»

“ On ne peut plus penser les sols comme on le pensait dans les plans d’occupation des sols des années 80, comme des simples surfaces à bâtir ou à non bâtir. Les sols c’est des épaisseurs, c’est un potentiel agronomique donc ça s’interroge dans une épaisseur et non pas en simple terme de surface et je crois que le foncier aujourd’hui pose cette question là.”

Jean-Noël Consales

POUR ALLER PLUS LOIN

Prendre la clef des champs, Sébastien Marot

Le ventre des villes, Comment l’alimentation façonne nos vies, par Carolyn Steel, Ed. L’écopoche, 

Ecouter Jean-Nöel Consales et Rémi Grisal sur l’Aubergine, le maraîchage entre ville et terroir

Marseille les territoires du temps, le chapitre La ville de la Campagne, par Marcel Roncayolo, 1996.

La permaculture ou l’art de réhabiter, par Laura Centemeri, Ed. Quae, 2019.

Autonomie alimentaire des villes État des lieux et enjeux pour la filière agro-alimentaire française,Utopies, 2017

Cultiver dans les ruines du Capitalisme, Par Flaminia Paddeu in Socialter – Ces terres qui se défendent (Hors-Série), p.79

Qu’est-ce que la justice Agri-Alimentaire ?, Cité de l’Agriculture

Des AMAP aux supermarchés coopératifs, par Marc Alphandéry

Agir contre la précarité alimentaire evorisant l’accès de tou.te.s à une alimentation de qualité publiée par le labo de l’ESS sous la direction de Marc Alphandéry et Dominique Picard.

A voir le récent avis du conseil de développement de la métropole AMP sur la Souveraineté Alimentaire

Intervenants

Jean-Nöel CONSALES

Laura CENTEMERI

Mac ALPHANDERY

Emilie LAYSTARY

Podcasts

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Preambule / Emilie Laystary
Présentation des intervenants / Emilie Laystary
Laura Centemeri
Jean-Noel Consales 1
Jean-Noel Consales 2
Marc Alphandery
Marc Alphandery 2
Conclusion
Questions du public